Les "rats de bibliothèque", un livre sur les bibliothèques universitaires et leurs publics

Publié le par SUD-Etudiant Nanterre

 

Deux sociologues montrent, à travers une enquête ethnographique sur la bibliothèque universitaire du Mirail, que le rat de bibliothèque recouvre diverses espèces. Dans les B. U., les chercheurs et autres polards côtoient d’autres types d’usagers : internautes, « touristes », « passagers clandestins »...

 

L’ethnographie d’une bibliothèque universitaire

L’enquête réalisée par Roselli et Perrenoud traite des modalités de réception et d’appropriation de l’offre et des dispositifs mis en place à la B.U. de l’Université de Toulouse Le Mirail (UTM). L’enquête est localisée dans un établissement de formation en lettres et sciences humaines au public majoritairement féminin (23 500 étudiants dont deux tiers de femmes), situé dans un quartier populaire de Toulouse. Deux tiers des étudiants de l’UTM (16 000) fréquentent la B.U. selon l’indicateur statistique retenu (activation du compte du lecteur au premier emprunt).

 

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Une première catégorie regroupe les « usagers de la B.U. comme salle d’étude ». Ces étudiants travaillent le plus souvent sur des supports importés (photocopies, notes, fiches), ne font que rarement l’usage des livres et empruntent peu d’ouvrages ou de revues. L’usage de la B.U. est ici intéressé : il s’agit d’étudiants au parcours universitaire incertain qui, étant conscients de l’enjeu scolaire, s’investissent dans le travail de révision des examens ou des adultes, en reprise d’études, qui préparent des concours et s’imposent une certaine discipline intellectuelle.

Fréquemment rencontrés durant l’investigation, les « errants de l’université de masse » (chapitre 2) regroupent des individus éloignés de la culture lettrée et peu préparés au travail universitaire et autonome. Deux figures composent cette famille : les « apprentis étudiants » et les « touristes » exprimant un rapport désabusé aux études et dont l’attitude ostensiblement relâchée (« allez surfer sur Internet pour passez le temps », baladeur MP3) est jugée provocante aux yeux du personnel. Très réussi, ce chapitre montre à quel point la bibliothèque universitaire est un poste d’observation pertinent pour appréhender le rapport au savoir légitime d’étudiants dont l’accès à l’enseignement supérieur est lié aux politiques éducatives. L’analyse des logiques sociales guidant le comportement de cette catégorie contribue à la sociologie du rapport des classes populaires à la formation initiale sur lequel d’autres enquêtes ont été menées [7].

Un troisième chapitre s’intéresse au groupe des « usagers de bonne volonté ». Il s’agit ici des étudiants sublimant – au sens psychanalytique du terme – la culture légitime tout en entretenant un rapport illégitime à celle-ci. Des stratégies d’ajustement sont mises en place par ce public déterminé afin de « s’accrocher » : sollicitation du personnel de la B.U. dans leurs recherches documentaires, investissement complet dans le travail scolaire, pratiques culturelles et langage soutenu rompant avec un milieu social intermédiaire éloigné du savoir légitime.

La quatrième partie de l’ouvrage analyse une catégorie engendrée par l’irruption des nouvelles technologies : « les internautes ». Articulant les intérêts scolaires et les intérêts de la vie pratique, les usages sont mixtes et aucune séparation ne distingue le temps studieux de la recherche et celui plus privé durant lequel se réalisent la correspondance et la consultation des sites marchands. La modernisation touchant les moyens de documentation et d’information ont fait émerger un nouveau public d’usagers. Il s’agit de celles et ceux « qui viennent au texte et à la recherche par l’écran » (p. 187). Autrefois exclus du champ littéraire et documentaire (et de la B.U.), ces étudiants désorientent, par leurs pratiques de recherche peu orthodoxes, les bibliothécaires « qui se retrouvent face à des « non-littéraires », peu lettrés lorsqu’il s’agit de manier les savoirs institués, les manuels et les encyclopédies, mais extrêmement adroits et rapides au clavier informatique » (p. 188).

L’enquête de terrain apporte également un éclairage intéressant sur les « passagers clandestins » de la B.U.. Ni enseignant-chercheur, ni étudiant de formation initiale ou continue, ils sont souvent, à la bibliothèque de l’UTM, des habitants d’origine étrangère du quartier défavorisé du Mirail, peu dotés en capital culturel, qui viennent consulter la presse en ligne de leur pays d’origine.

Sous le titre « les autonomes, des usagers critiques », le dernier chapitre analyse enfin le public familier de la B.U. aux pratiques avancées, régulières et autonomes de recherche et d’emprunt. Cette communauté se décline sous trois figures : « les experts formés à la recherche informatisée » ; les « sédentaires », liés spatialement à la bibliothèque, dépouillant une collection complète (archives, revues) ; et les « nomades pressés » dont le passage à la B.U. est bref et dont le travail de sélection et de localisation de références empruntées se réalise de plus en plus en amont et à distance. Cette figure, regroupant souvent des enseignants-chercheurs jonglant entre l’emprunt, l’achat de titres et l’usage de la B.U. et de la bibliothèque de leur Unité de formation et de recherche (UFR), entre rarement en contact avec les professionnels de la bibliothèque sauf pour le cas des doctorants.

Ce dernier chapitre consacré aux « autonomes » met en évidence une figure d’étudiants assez présente à l’Université qui, tout en atteignant des paliers élevés du système scolaire, entretient un rapport aux livres particulier. Fréquentant assidument la B.U., présents en cours, ces étudiants esquivent les lectures intensives et approfondies mais manipulent avec un certain professionnalisme les livres, l’introduction des thèses et les ressources numériques. Le but étant de rechercher des synthèses complètes, des revues de littérature sur un objet, de puiser dans des recherches menées par d’autres sans en citer l’auteur afin de confectionner de solides bibliographies et des mémoires de fin d’année. Cette posture rationnelle indique que l’étudiant a intégré les règles du jeu scolaire sans toutefois se conformer aux normes de l’univers lettré. Le portrait de Camille (p. 218-223) étudiante en master de géographie dont le dernier livre lu en entier remonte à ses quatorze ans, et l’analyse fine de ses pratiques de travail illustrent cette posture.

 

lire l'intégralité de la recension ici : http://www.laviedesidees.fr/Les-rats-de-bibliotheque.html

Publié dans Réfléchir pour agir

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