comment l'Etat s'est coupé la main gauche

Publié le par Paru dans Le Plan B n°15, octobre-novembre 2008

Ayant stigmatisé la folie des banquiers et la démesure de la finance, le gouvernement français agit : il supprime 30 000 postes de fonctionnaires et privatise la poste. La tonte des services publics baptisée « réforme de l’État » sert deux fois le patronat : elle décime les rangs de salariés plus syndiqués qu’ailleurs et gorge d’euros le privé.

 

Trop d’État, trop de fonctionnaires, trop de dépenses publiques. Depuis l’invention de l’horloge parlante, le Parti de la presse et de l’argent (PPA) rythme les saisons en égrenant ce chapelet. Il faut supprimer les « fonctionnaires fossiles » (Le Figaro, 2.4.03), alléger « un État trop lourd » (Le Monde, 12.12.07), couper dans « le gras de la république » (La Tribune, 7.2.08), éliminer la « mauvaise graisse » de la « bureaucratie » (Le nouvel observateur, 10.1.02), résorber « l’obésité paralysante de l’État tentaculaire » (Le Figaro, 5.4.08), poser un clystère à ce pays « toujours constipé de paperasse » (L’Express, 7.2.08). La ventrière bien calée dans leurs privilèges fiscaux, les éditorialistes ratatinent du fonctionnaire d’un coup de copier-coller. Quand Élie Cohen, sur le site Internet du Nouvel Observateur, ronchonne que « l’État doit revoir les dépenses publiques en réduisant le nombre de fonctionnaires » (2.4.08), il régurgite le bouillon d’onze heures administré six ans plus tôt par le même journal, sous la plume de son directeur d’alors, Laurent Joffrin : « Oui, certains fonctionnaires exagèrent, surtout quand ils bloquent la nécessaire évolution du service public » (Le nouvel observateur, 10.1.02).
Du mammouth en barquettes

Magnanime, le chef de l’État a exaucé le vœu du PPA. Dans le cadre de la « révision générale des politiques publiques » (RGPP), la « modernisation de l’État » se traduira en 2009 par la suppression de 30 000 postes supplémentaires. L’essoreuse de la « modernisation » doit permettre de dégorger 7 milliards d’euros d’ici à 2011, puis 7 milliards chaque année jusqu’à dissolution complète de la « mauvaise graisse ». « Il s’agit simplement de faire la chasse aux structures superflues et aux procédures trop lourdes, explique le bras droit de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, dans une interview à France Soir (9.9.08). Cette chasse, ça veut dire du temps gagné, de la dépense économisée, cela veut dire une administration qui répond plus vite. » L’oiseau fonctionnaire, plus on le plume, mieux il vole. Le raisonnement n’a pas paru intriguer le journaliste de France Soir, dont la question, il est vrai, contenait déjà la réponse : « L’objectif de la RGPP, c’est de diminuer la dépense publique et de renforcer la qualité de l’action publique ? »

La modernité, dans le cas présent, ne consiste pas seulement à « faire la chasse » aux hôpitaux, aux tribunaux ou aux bureaux de poste trop éloignés des quartiers de la presse parisienne et de ses résidences secondaires. Elle consiste aussi à braconner les entreprises publiques pour les revendre au privé. Hier Saint-Gobain (1986), la Société générale (1987), Total (1992), la BNP (1993), Pechiney et Usinor-Sacilor (1995), Renault (1996), le Crédit lyonnais (1999), France Télécom (2004) ; aujourd’hui EDF et GDF, demain la Poste et, après-demain, sans doute le nucléaire et la SNCF.

« EDF peut rester un monopole public tant qu’elle gère un monopole, mais, si elle veut rester un global player sur les marchés de demain, sa transformation en SA et sa privatisation sont inéluctables », lisait-on dès 2000 dans Notre État, la bible des dégraisseurs. Comme le notent avec allégresse les auteurs de ce « livre vérité de la fonction publique », les rois de la pantoufle Roger Fauroux et Bernard Spitz (lire p. 6), la mue de la citrouille EDF en carrosse global obéit au même idéal que la concurrence libre et non faussée : la construction européenne. C’est dire si les « fonctionnaires fossiles » qui persistent à défendre les services publics au mépris des bonnes fées de Bruxelles obéissent à « des pulsions xénophobes et antilibérales », celles-là mêmes qui « ont coupé la France du monde du XXIe siècle » (Nicolas Baverez, Le Point, 19.7.07). Symbole de métissage et de l’esprit des Lumières, la revente à la découpe des biens d’État exigeait le concours de toutes les forces démocratiques. Les gouvernements d’Édouard Balladur (1993-1995) et d’Alain Juppé (1995-1997) n’ont pas démérité en privatisant pour un total de 140 milliards de francs. Mais leur bilan déçoit au regard des 240 milliards essorés par la gauche plurielle (1997-2001) grâce à la privatisation partielle ou intégrale de Bull, du CIC, de Thomson CSF, d’Air France, d’Aérospatiale, de Thomson multimédia ou du Crédit lyonnais. « Chaque fois que des alliances industrielles se sont révélées indispensables – en particulier à l’échelle européenne –, nous les avons rendues possibles, se rengorgeait Lionel Jospin en 1998, alors qu’il offrait EADS à Lagardère. Et quand elles ont nécessité des ouvertures de capital, voire des privatisations, nous les avons consenties [1]. »

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Publié dans Réfléchir pour agir

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