Veut-on décourager les vocations aux métiers de l’enseignement ? (tribune parue dans l'Humanité)

Publié le par SUD-Etudiant Nanterre

 

Par Marie PRIEUR, Pierre-Alain DONNIO et Sylvain TERRIEN (SUD Étudiant), Maud VILPA et Romain SARDE (Collectif Stagiaire Impossible).

À l’heure du bilan, les effets désastreux de la réforme de la formation des enseignants, dite de la mastérisation, mise en place par vos deux ministères depuis la rentrée 2010, se font durement sentir. La situation est pire que ce que l’on pouvait craindre, tant pour les étudiants qui préparent les concours que pour les fonctionnaires stagiaires qui les ont obtenus l’année dernière.

Les masters MEF (métiers de l’enseignement et de la formation) ont été mis en place dans la précipitation, sans véritable cadrage national, notamment en ce qui concerne les conditions de stages. En effet, si la réglementation nationale impose un stage en responsabilité de cent huit heures au cours de la seconde année de master, elle ne dit rien de leur organisation pratique, ce qui se traduit par de fortes inégalités entre étudiantes et étudiants des différentes académies. Par ailleurs, ces heures représentent à la fois un volume horaire insuffisant pour une formation de qualité et une charge de travail importante pour des étudiants qui préparent de front le concours ainsi que la validation du master, qui comprend des examens et la rédaction d’un mémoire.

Les maquettes des masters MEF élaborées par les universités présentent des différences importantes : certaines prévoient des stages plus ou moins « filés », sur une durée importante, en alternance avec les enseignements à l’IUFM, alors que d’autres groupent le stage sur une période plus brève, empêchant une analyse et un recul par rapport à la pratique du métier.

C’est néanmoins l’organisation effective des stages, confiée aux recteurs, qui est le principal facteur d’injustice et d’inégalités entre les étudiants. D’une part, cette mise en œuvre s’est faite, dans certains cas, sans tenir compte de ce que prévoyaient les masters des universités : des étudiants doivent ainsi manquer des cours pour suivre leur stage, faute d’une réelle coordination entre rectorat, université et IUFM. La rémunération de ces stages est également très disparate selon les rectorats, avec des différences de traitement entre étudiants admissibles ou non au concours. D’autre part, les dates d’inscription aux concours ont été modifiées sans grande publicité, et notamment sans que les candidats recalés l’année précédente en soient informés : certains n’ont ainsi pas pu se réinscrire.

Considérez la détresse dans laquelle sont plongés ces étudiants, qui n’avaient pas prévu d’autres projets professionnels et universitaires, qui avaient investi énormément de temps, d’énergie et d’espoir dans la préparation de concours rendus de plus en plus sélectifs par la réduction constante du nombre de postes, 16 000 par an dès 2011, selon le budget triennal.

La communication de vos deux ministères s’emploie à démontrer que ces nombreux problèmes devraient se résorber dans les années à venir. Or, il n’en est rien, puisque l’essentiel réside dans l’absurdité d’une formation se donnant pour objectif de préparer en même temps à un métier, à un concours et à la recherche. Cela n’aboutit qu’à une souffrance et à un épuisement accrus des candidats aux concours, qui n’a d’autre effet (ou objectif ?) que de décourager les vocations aux métiers de l’enseignement.

Mais les obstacles à l’entrée dans ce métier ne s’arrêtent pas à la réussite au concours. Les enseignants recrutés, pourtant bénéficiaires du statut de fonctionnaires stagiaires pendant leur première année, se voient désormais confier une charge complète de dix-huit heures de cours par semaine (contre la moitié auparavant), avec des classes à examen, et n’ont dorénavant droit qu’à un simulacre de formation professionnelle, réduite à des séances de promotion de la réforme. Là encore, l’organisation de la formation au cours de l’année de stage a été décentralisée aux recteurs, cela aboutissant à de fortes disparités entre académies. Le tutorat peut ainsi varier de trente-six à cent huit heures et la formation théorique de soixante à cent soixante heures. En supprimant tout cadrage national, vous avez fait le choix de renier votre rôle de garants de l’égalité et de la qualité de la formation des futurs enseignants.

Les conséquences de cette réforme sont insupportables, tant en termes de dégradation des conditions de travail qu’en termes d’éducation des générations futures. Aujourd’hui, la réduction du nombre d’enseignants fonctionnaires ne passe plus seulement par la diminution des postes aux concours, mais par des méthodes encore plus pernicieuses : il s’agit de rendre la préparation des concours et la pratique du métier humainement intenables, pour favoriser les abandons de candidats avant les concours et de fonctionnaires stagiaires avant leur titularisation. Levons le voile sur ce scandale, sur ces vocations sacrifiées, sur une sélection qui s’opère par la souffrance induite par la formation à un métier tant désiré.

Nous exigeons l’abrogation de tous les règlements instaurant la réforme de la formation dite de la « mastérisation », le retour sur les décisions prises par arrêtés de vos deux ministères et le maintien du cadre national de formation et d’exercice des stagiaires de l’enseignement, ainsi que l’augmentation des postes dans l’ensemble du service public.

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