Retraites : une réforme contre la jeunesse (Tribune paru dans le Monde)

Publié le par SUD étudiant

Aurélien Boudon (SUD Etudiant), Marie Prieur (SUD Etudiant), Sylvain Terrien (SUD Etudiant), Sophie Banasiak (Attac Campus), Célia Gourzones (Attac Campus)

Alors que le mouvement de contestation ne cesse de prendre de l'ampleur, le gouvernement a fait passer en force son projet de contre-réforme des retraites à l'Assemblée nationale et impose un calendrier resserré, visant à empêcher tout débat de fond sur le sujet. Les jeunes, qui sont pourtant les premiers concernés, sont tout particulièrement ignorés et méprisés par le gouvernement ; leurs organisations n'ont même pas eu droit au semblant de concertation dont ont dû se contenter les syndicats de salariés. Cette réforme est pourtant présentée comme indispensable pour les jeunes. Dans le discours gouvernemental, il existe deux certitudes : la réforme ne peut attendre, et elle sauvera les retraites des jeunes. Pourquoi, dans ce cas, la jeunesse est-elle maintenue à l'écart de tout débat ? Il est nécessaire de rétablir la vérité : loin d'assurer, pour l'avenir, l'équilibre financier de notre système de retraite par répartition, le projet actuel se traduira, pour les jeunes d'aujourd'hui, par une augmentation du chômage et, une fois arrivés à la retraite, par des pensions diminuées.

Les mesures contenues dans ce projet de loi ne permettent aucunement de faire face aux besoins de financement que connaissent les caisses de retraites. Selon la logique gouvernementale, l'augmentation de la durée de cotisation provoquerait une augmentation similaire du nombre de salariés cotisant, et donc des recettes du système. Mais ce raisonnement occulte un élément pourtant fondamental : pour que ces actifs supplémentaires apportent effectivement un surcroît de cotisations, il faut qu'ils puissent travailler, et non qu'ils restent au chômage. Il faut donc créer des emplois, ce que la politique actuelle ne prévoit ni ne permet en rien ; bien au contraire, en supprimant des postes de fonctionnaires par le non-remplacement de la moitié des départs en retraite, l'Etat montre le mauvais exemple. De même, le report de l'âge de départ, sensé permettre des économies en réduisant le nombre de retraités, ne ferait en fait que transférer ces coûts vers les caisses d'indemnisation du chômage, créant ainsi un nouveau déficit qui légitimera les prochaines attaques contre les droits des chômeurs et des chômeuses. Le ministère du travail prévoit d'ailleurs lui-même un déficit de 4 milliards d'euros en 2020, malgré la réforme.

Le report de l'âge de départ à 62 ans aura pour effet immédiat une augmentation du taux de chômage des jeunes qui s'élève déjà à 24 %. En effet, même si ce report ne provoquera pas, pour la majorité des salariés, une réelle augmentation du temps passé au travail au cours de la vie (les employeurs préférant trop souvent licencier leurs employés avant l'âge de 60 ans), un certain nombre, notamment les fonctionnaires, continueront d'occuper des emplois qui, s'ils avaient pu partir en retraite, auraient été disponibles pour des jeunes arrivant sur le marché du travail. A condition, bien évidemment, que soit abandonné le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite qui prive le service public des agents nécessaires pour remplir ses missions et les jeunes des emplois dont ils ont besoin pour vivre. Ainsi, le gouvernement exclut de l'emploi ceux qui ont besoin de travailler et force ceux qui voudraient s'arrêter à continuer deux ans de plus. C'est exactement le contraire du principe de solidarité entre les générations qui veut que les plus âgés laissent leurs emplois aux plus jeunes qui peuvent alors cotiser et ainsi participer au financement des retraites.

Puis les jeunes générations paieront une seconde fois l'addition de la réforme : avec l'allongement de la durée des études ainsi que de la période de chômage et de précarité qui les suit désormais dans la plupart des cas, l'âge moyen d'entrée dans l'emploi stable est aujourd'hui de 27 ans. Dans ces conditions, atteindre le nombre d'annuités requis pour une retraite complète deviendra impossible (le Conseil d'orientation des retraites estime que la durée réelle de cotisation est aujourd'hui de 37,5 annuités et descendra à 37 ans en 2035). Nombre de salariés devront alors attendre l'âge de 67 ans pour pouvoir prendre leur retraite sans subir une décote pouvant aller jusqu'à 25 %. Mais même sans décote, la pension reste calculée au prorata du nombre d'annuités de cotisation validée. Avec l'allongement à 41,5 ans, la retraite des jeunes d'aujourd'hui serait amputée de plus de 10 % (37 / 41,5 = 89,2 %) par rapport à un véritable taux plein.

LA JEUNESSE AURA UN RÔLE DÉTERMINANT DANS CETTE BATAILLE DES RETRAITES

Le discours du gouvernement selon lequel cette réforme serait faite dans l'intérêt de la jeunesse apparaît donc comme totalement mensonger. Il ne vise en réalité qu'à diviser pour mieux régner : l'histoire récente le montre, une mobilisation conjointe des salariés et de la jeunesse étudiante et lycéenne est une des pires épreuves auxquelles puisse être confronté un gouvernement. Et c'est bien ce type de scénario que le pouvoir craint et qu'il cherche à éviter. En affirmant aux jeunes que la réforme est faite pour eux et que ceux qui s'y opposent défendraient les intérêts de leur propre génération au détriment des suivantes, Nicolas Sarkozy et Eric Woerth cherchent à rallier à leur cause une population qu'ils supposent peu informée sur le sujet.

La jeunesse aura donc un rôle déterminant dans cette bataille des retraites. Le gouvernement cherche à la neutraliser, pariant que s'il y parvient, il pourra alors passer en force en ne concédant que des aménagements mineurs comme il l'a déjà tenté sur la pénibilité. Mais si elle s'engage résolument dans cette lutte, elle peut bousculer le rythme des journées d'actions à répétitions et apporter à l'ensemble du mouvement social l'élan qui le conduira à la victoire. La réforme se fait effectivement pour les jeunes, en ce sens que ce sont eux qui en subiront les conséquences. C'est cette génération qui fera l'avenir, et qui devra assumer les choix qui se font aujourd'hui. C'est donc sur elle que repose la responsabilité de faire le choix entre l'individualisme forcené que veut imposer l'idéologie néo-libérale actuellement dominante et la solidarité entre les générations, principe fondateur de notre système de protection sociale qui est aujourd'hui menacé.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/09/29/retraites-une-reforme-contre-la-jeunesse_1417251_3232.html

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